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Interview du Président de l'Olympique de Marseille, Jacques-Henri Eyraud

Interview
Entretien
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OM
Le Samedi 18 avril 2020 à 01:00
Jacques-Henri Eyraud revient sur l'interview donnée au journal L’Équipe mercredi 15 avril 2020 et approfondit ses propos.

Le journal L’Equipe vient de publier un reportage sur les coulisses du club en ces temps de confinement. Pourquoi avoir décidé de leur ouvrir ainsi les portes ?

Alors que l’ensemble de la planète subit de plein fouet l’épidémie de COVID-19, que les Français sont confinés depuis le 17 mars dernier, le monde du football traverse également une crise sans précédent. Jamais les incertitudes n’ont été aussi grandes. Quand le football pourra-t-il reprendre ? Sous quelle forme ? Quelles seront les conséquences de la crise économique pour les supporters, les clubs, les joueurs, le mercato ? Nous nous posons tous énormément de questions, mais devons également maintenir le bateau à flot. C’est pourquoi nous avons, en toute transparence, dévoilé les coulisses de l’OM et des gens qui y travaillent encore, et qui se retrouvent, une fois n’est pas coutume, dans la lumière. Le football souffre d’une excessive présidentialisation. J’étais heureux et fier que L’Équipe donne la parole à mes collaborateurs directs que je veux saluer et qui font un travail remarquable. Dans ces moments, les caractères et les personnalités se dévoilent et ce que je vois à l’OM est très émouvant.  


Justement, qu’en est-il de la situation du club actuellement ?

Face à un arrêt total, le sport est un secteur sinistré tout comme le sont les transports, l’hôtellerie-restauration, l’événementiel ou la culture… On ne perçoit pas de chiffres d’affaires alors qu’on doit régler des charges fixes tous les mois. Et les diffuseurs nous pénalisent particulièrement puisqu’un club comme l’OM n’a perçu aujourd’hui que 41 % de ses droits télé, alors qu’il a joué 73 % de ses matches. On doit donc mettre en place une gestion de crise, où chaque euro compte. 
Pour moi, les priorités sont triples. D’abord, assurer notre responsabilité de dirigeant vis-à-vis de nos collaborateurs en se souciant de leur santé avant tout. Ensuite, établir un plan d’urgence pour traverser la crise. Concrètement, adapter l’organisation du club à cette période exceptionnelle a été un véritable casse-tête. Seules 60 personnes travaillent encore, en activité réduite, pour permettre la continuité de l’exploitation. 78 % de nos collaborateurs sont au chômage partiel. Les membres du Comex eux, s’activent d’arrache-pied pour gérer cette situation, prendre les bonnes décisions et mettre à jour le plan d’urgence en fonction de l’évolution de la situation. Dans ce contexte très grave, ils ont d’ailleurs tous spontanément décidé de baisser leur salaire de près de 20 %, pour s’aligner sur tous nos collaborateurs en activité partielle. Le troisième sujet, c’est d’être à la hauteur de notre responsabilité sociétale. C’est aussi notre rôle et nous menons plusieurs actions comme la diffusion des messages de prévention et des gestes barrières à nos 13 millions de fans sur les réseaux sociaux, le soutien aux soignants apporté chaque soir avec un stade Orange Vélodrome retentissant, le soutien aux hôpitaux de Marseille via une levée de fonds, le soutien aux plus démunis via la Banque alimentaire et les Restos du Cœur ou encore le soutien aux victimes de violences conjugales. Le foot est une importante fabrique de lien social. Quand il n’existe plus, on s’en aperçoit, à Marseille plus qu’ailleurs. Nous avons donc une immense responsabilité et nous faisons tout ce qui nous est possible pour être à la hauteur. Au fond, nous passons tous le test de notre vie professionnelle. 

 

Jacques-Henri Eyraud
 
Pour revenir au football, comment envisagez-vous la reprise ?

Difficile de se projeter dans un tel contexte, où l’on pense évidemment en premier au drame sanitaire qui se joue et à ses conséquences, puisque nous sommes tous placés dans une situation de confinement qui est absolument inédite pour l’immense majorité d’entre nous. Personne n’est préparé à un tel scénario et il est certain que le confinement va peser sur les esprits, sur les consciences. 
Il en va de ma responsabilité de dirigeant de prévoir toutes les éventualités pour être en mesure de s’adapter à l’évolution du virus. C’est le travail qui est fait entre clubs. Évidemment, on ne peut pas être hypocrite et balayer d’un revers de la main l’argument économique. Les clubs sont dans des situations très difficiles aujourd’hui et l’arrêt du Championnat impliquerait pour eux une situation économique plus grave encore. 
En même temps, je suis très sensible aux supporters sans lesquels on n’existe pas. C’est certain : la reprise du football va susciter une immense attente, et évidemment, imaginer reprendre la fête du football dans des stades vides, c’est dur. Idéalement, le foot devrait reprendre quand les conditions sanitaires le permettront, dans des stades pleins au milieu de supporters qui chantent, qui crient, qui dansent. Maintenant, si la seule solution pour une reprise en toute sécurité, c’est de jouer des matches à huis clos, il faudra peut-être l’envisager, mais ce serait un crève-cœur. 
Vivre un match de l’OM dans un virage, c’est l’expérience sociale ultime. L’une des rares qui subsistent. Pour en finir avec le virus, il faut bien entendu adopter la distanciation sociale mais tout le paradoxe, toute la difficulté, c’est que sport et distanciation sociale ne font pas bon ménage. C’est même tout l’inverse, le sport, c’est le corps-à-corps, beaucoup de gouttelettes partagées ! Mais que va donc devenir cette expérience sociale si précieuse dans le monde post-Covid ? Je me pose beaucoup de questions, avec anxiété, autour de ce sujet. Je fais confiance à notre Président, j’aimerais voir les donneurs de leçons prendre les manettes. Je pense qu’on doit tous être solidaires et faire passer la situation sanitaire avant toute autre considération. Aucun intérêt à ce que chacun y aille de sa petite musique sur les scénarios de reprise. On le sait tous depuis le début : c’est le virus qui dictera sa loi. On en parlera tous ensemble et j’espère qu’on arrivera à un consensus sur la meilleure manière de reprendre le Championnat.

 
Justement, selon vous, que va devenir cette expérience sociale qu’est le football dans le monde post-Covid ? Quels changements doit-on opérer ?

Je pense qu’il faut revenir à une question de base : quel est le rôle et les responsabilités du football dans la vie publique ? Pour moi, le rôle du football, c’est de rendre les gens heureux, mais aussi contribuer à l’accompagnement de jeunes qui, par la pratique de notre sport, peuvent grandir, réussir, s’épanouir, s’extraire d’un avenir qu’on leur prédisait parfois morose. Démontrer que rien n’est écrit et qu’avec beaucoup de travail, de talent et de passion, on peut changer la donne. Et même pour ceux qui finalement ne seraient pas devenus footballeurs professionnels, ils auront acquis des valeurs fortes qui les guideront toutes leur vie d’Homme. Nous sommes des éducateurs et c’est peut-être là notre plus importante mission au-delà de gagner des titres. 
Cela étant dit, face à cette crise, quelle doit-être la contribution du football à l’effort actuel ? Il me semble que la responsabilité du football, c’est de  montrer l’exemple, de contribuer au vivre-ensemble, de rendre à la société tout ce que les supporters donnent au football en temps normal. Cette crise doit nous inciter à changer bien des choses. À faire cesser ce qui s’est peu à peu mis en place dans le monde du football, à lutter plus fortement encore contre sa part d’ombre, son côté obscur, ses excès. 
Dans cette crise, j’ai fixé au comité exécutif des priorités, dont l’une consiste à imaginer le monde d’après. L’OM doit être en première ligne de la recomposition du football une fois la crise derrière nous. Il faudra adopter, identifier des mots-clés qui seront ceux du football de demain : l’humanité, la gouvernance, l’éthique, l’innovation aussi. On a mis en place une task-force en interne pour réfléchir à ces sujets. On participera au débat humblement, à notre place. Et à titre personnel, il est clair que je rejoindrai tous ceux qui veulent retourner la table parce qu’on ne peut plus continuer ainsi.

 

Jacques-Henri Eyraud

 

Le monde du football est souvent critiqué...

On entend beaucoup de choses sur le foot. Je vois une vague monter depuis quelques jours : « le foot, c’est trop d’argent », « qu’ils se débrouillent ». J’ai même entendu une ancienne ministre, récemment, dire qu’elle ne pleurait pas pour les joueurs de foot. Je pense que ce type de déclarations est digne de la Ligue des champions des démagogues. Que voulez-vous qu’on réponde devant le désastre sanitaire et la détresse sociale dont nous sommes les témoins ? Je comprends donc que certaines dérives de notre sport fassent que l’on soit inaudible aujourd’hui. On doit donc balayer devant notre porte. Une fois que j’ai dit cela, quand nous sommes arrivés à Marseille, les responsables politiques de tous bords m’ont dit une chose d’un ton grave : ils m’ont prévenu que l’OM était le principal pilier de la cohésion sociale dans la ville. Et ma ville n’est pas une petite bourgade : elle compte près d’un million d’habitants. Qu’est-ce que l’on fait, alors ? Est-ce que le foot est important ou pas pour nos sociétés ? Pour le politique, préserver la cohésion sociale est-il un objectif essentiel ou non ? Pourquoi les collectivités publiques s’endettent par millions pour construire et rester propriétaires de leurs stades ? Est-ce un bon usage des deniers publics ? Le financement des clubs amateurs doit-il être une affaire de clientélisme politique ou de cohésion territoriale ? On est encore dans la crise, il faut d’abord parvenir à la traverser et à résoudre les problèmes à court terme. Il faudra tout mettre sur la table ensuite, être créatifs et volontaristes pour réinventer notre sport. Oui, je pense vraiment qu’il va falloir renverser la table.

 

Jacques-Henri Eyraud

 
Et la question tourne beaucoup autour du salaire des joueurs…

Dans un contexte aussi exceptionnel, chacun doit prendre sa part de l’effort collectif. Ils savent ce que j’attends d’eux et je leur fais confiance pour qu’ils prennent les bonnes décisions. Mais il faut aussi rappeler certaines vérités. Les footballeurs millionnaires sont des cibles trop faciles, mais les joueurs ne sont pas ce que l’on décrit trop souvent par méconnaissance : des individus futiles qui collectionnent les montres de luxe, les bagnoles de course ou les petites amies. Ils peuvent aller d’un CDD très bien payé à un autre qui le sera peut-être beaucoup moins. Ils sont soumis à une très forte pression, au risque permanent de blessure, qui pourrait mettre un terme à leur carrière. Ils ont un mental très fort, et il le faut quand on joue au football et notamment à l’OM. Il faut le rappeler et ne pas tomber dans la démagogie et le populisme.

 

Jacques-Henri Eyraud

 
Comment faire face à ce contexte économique très compliqué ?

Cette crise arrive alors que nous avons achevé la phase 1 de notre projet, qui s’est traduite par un investissement massif dans la relance du club, l’amélioration de nos infrastructures, le lancement d’une vraie stratégie ambitieuse pour notre formation. Le club nécessitait une injection de capital extrêmement importante. Grâce à la contribution de Frank, on a changé le profil du club, dans sa structuration et dans ses résultats. 
On entre dans une deuxième phase, où la formation doit générer des talents dont nous avons besoin sur le terrain. La post-formation doit être au cœur de notre stratégie de recrutement. Et tout le travail effectué sur la marque OM et le développement d’infrastructures doivent nous permettre de générer des revenus supplémentaires ce qui était impossible il y a trois ans. Nous avions annoncé en arrivant 200 M€ pour renforcer l’équipe professionnelle, on en a dépensé 205 quatre ans plus tard. L’équilibre financier, la pérennité économique sont désormais des objectifs essentiels de notre deuxième phase du projet, fair-play financier ou pas. 
Évidemment ce virus arrive au mauvais moment puisque nous étions sur une très bonne dynamique, sportive, internationale etc… Et cela dépasse le foot, car un club de foot aujourd’hui, c’est aussi de plus en plus une organisation qui gère des concerts, des spectacles vivants, des séminaires d’entreprises, des conventions, etc. Tout a été annulé. Au mieux, on trouvera d’autres dates plus tardivement dans la saison quand la situation sanitaire le permettra, au pire, nous aurons perdu la totalité de ce chiffre d’affaires. Cela se chiffre en millions d’euros. 
Mais nous avons la chance d’avoir un investisseur exceptionnel à nos côtés. Frank est très mobilisé, très présent avec toute son équipe, bien que la situation sanitaire aux Etats-Unis soit très difficile également et notamment à New-York, où une partie importante de nos bureaux se trouvent. Son regard extérieur, sa connaissance intime du monde du sport, sont des atouts majeurs pour nous tous. Nous partageons tout. Quant aux personnes qui s’amusent à agiter sans cesse le chiffon rouge d’une vente du club, je ne peux que les décevoir et les renvoyer à leurs fake news. Et tant pis pour ceux qui en rêvent la nuit.


 
Face à cette situation inédite de crise sanitaire et ses impacts sur le monde du football, Jacques-Henri Eyraud souhaite élargir la réflexion aux supporters de l'OM afin de recueillir leurs sentiments et interrogations. Plusieurs rencontres seront organisées dans les prochains jours.